29 Septembre, 2020

Le procès d’une douzaine de musulmans français, accusés de complicité dans les assassinats du personnel de Charlie Hebdo, vient de commencer. L’élite artistique française récite son mantra : « Calmez-vous, c’est juste une satire ». Mais pourquoi ne devrions-nous pas prendre cette satire au sérieux ? L’humour et la moquerie sont de puissantes armes de classe, surtout si elles sont utilisées pour rabaisser les sans-voix, les sans-défense et les foules n’ayant que peu ou pas de sources alternatives sûres d’auto-estime et de dignité, autres que celle de leur identité nue en tant qu’êtres humains. Ridiculiser des gens impuissants à se défendre peut difficilement passer pour une noble ambition.

     Nous constatons à regret que l’impasse demeure entre les valeurs musulmanes et celles d’extrémistes laïques français. Cette controverse au sujet de la liberté d’expression n’est pas près de disparaître : au fond, il s’agit de la quête d’identités authentiques, qui se trouvent en concurrence dans le même espace public. Tristement, certains fanatiques ont choisi de diffamer le prophète Muhammad afin de poursuivre ce but pourtant noble par ailleurs.

     Une laïcité (sécularisme imposé par l’état) absolue et intolérante interdit aux musulmans de rechercher un arrangement honorable avec les forces puissantes et injustes qui opèrent dans leur pays de citoyenneté choisie. La France, une démocratie pluraliste occidentale, refuse de redresser les torts de son passé impérialiste, dont le legs inclut la persistante privation économique pour des millions de gens.

        Si nous devons vivre tous ensembles, en paix et avec dignité, nous ne pouvons pas permettre à un groupe d’artistes fanatiques dans les bureaux de Charlie Hebdo de dicter le goût esthétique. Se complaire dans une dictature de vulgarité sous couvert de valeurs soi-disant artistiques asphyxie les préoccupations beaucoup plus urgentes et légitimes de savoir comment vivre de bonnes vies parmi des consciences laïques ou chrétiennes différentes ou même opposées.

      Les musulmans français doivent respecter les consciences des humanistes laïques qui défendent des valeurs morales en conflit avec certaines valeurs islamiques, tout comme les décideurs politiques français doivent renoncer à leur point de vue arrogant selon lequel leur style de laïcité est le meilleur. Pourquoi les musulmans modernes devraient-ils porter le poids de l’Histoire de France ? La laïcité ne tolère pas la diversité. Le fardeau se trouve donc maintenant sur les épaules des décideurs politiques. Pourront-ils être à la hauteur des demandes de leur Histoire telle qu’elle a évolué pour en arriver à ce cul-de-sac meurtrier ? Les français sont-ils prêts pour la démocratie ? Permettront-ils à leurs six millions de concitoyens musulmans de faire entendre leur voix ? Ou continueront-ils à les museler et à les aigrir encore plus ? L’impuissance corrompt.

      La tragédie de Charlie Hebdo devrait nous enseigner à réellement progresser tous ensembles vers l’héritage de Liberté, Egalité et Fraternité… pour chaque citoyen, et pas seulement pour une élite artistique. Le progrès moral des cultures ne s’établit pas en déformant l’image d’une minorité méprisée—et en propageant un récit révisionniste faux et insultant de ses origines. Les religions ont une confiance en soi communautaire. Leurs adhérents peuvent être profondément blessés.  

Traduit de l’anglais par Lucy J. Aguilar.

Shabbir Akhtar, Docteur en Philosophie formé à Cambridge, est membre de la Faculté de Théologie et Religions à l’Université d’Oxford. Il examine les questions ci-dessus mentionnées dans son livre « Ne Touchez pas à Muhammad ! » (Bijak Publishing, Jakarta, Octobre 2020) disponible sur sa page Internet : www. shabbirakhtar.com.